Depuis quelques années, l’art vietnamien connaît un véritable succès dans les salles des ventes. A l’heure où les enchères s’envolent, retour sur cet engouement inédit. Voici le 2ème chapitre consacré à l’Ecole d’Hanoï.
La naissance d’un style indochinois, entre tradition et modernité
Transmettre à ses élèves « une connaissance approfondie tant de l’histoire de l’art occidentale que des arts et artisanats de l’Extrême-Orient »(1) fait partie des principes fondamentaux de l’Ecole supérieure des Beaux-Arts de l’Indochine (EBAI) fondée en 1925.
Avant la création de l’EBAI, l’art traditionnel vietnamien est influencé par la culture chinoise. Culte des ancêtres, sujets religieux, représentations de déité ou de héros nationaux sont les principales sources d’inspiration. L’Ecole supérieure des Beaux-Arts de l’Indochine, résolument tournée vers l’Occident, mais attachée aux techniques ancestrales formera de nombreux artistes regroupés sous le nom d’ « Ecole d’Hanoï » à l’origine d’une véritable révolution esthétique au Vietnam.
Les peintres français, lauréats du prix d’Indochine devenus professeurs à l’Ecole supérieure des Beaux-Arts de l’Indochine, enseignent la peinture à l’huile, mais aussi la perspective linéaire, les techniques d’ombres et de lumière et prêtent une attention particulière à la recherche de volume. Ces enseignements auront une influence considérable sur la production vietnamienne qui émanera de l’Ecole supérieure des Beaux-Arts de l’Indochine.
Au sein de l’EBAI, une place importante est accordée à l’enseignement de la peinture sur soie directement inspirée de la technique chinoise de peinture sur rouleau. Cette technique ancestrale, qui requiert minutie et délicatesse puisqu’aucun retour en arrière n’est possible, est très appréciée par les artistes vietnamiens de l’Ecole d’Hanoï. Néanmoins, et sous l’influence de leurs professeurs européens, ils adaptent cette technique afin de pouvoir encadrer les œuvres à la manière occidentale. Entre tradition et modernité, la peinture sur soie devient dès lors l’une des particularités de l’Ecole d’Hanoï.
Grâce aux artistes français Alix Aymé (1894-1989) et Joseph Inguimberty (1896-1971) l’art de la laque traditionnel vietnamien retrouve ses lettres de noblesse. En effet, fascinés par cette technique, Alix Aymé et Joseph Inguimberty inaugurent un nouveau département qui lui est consacré à l’Ecole supérieure des Beaux-Arts de l’Indochine. Ils encouragent également leurs élèves à réaliser des panneaux décoratifs en laque. C’est ainsi que la laque devient un support de prédilection pour les artistes de l’Ecole d’Hanoï.
Jusqu’au début du XXe siècle, et alors que le pays est en pleine modernisation (construction de chemin de fer et de ponts, etc), les artistes vietnamiens illustrent essentiellement des paysages typiques comme la baie de Ha Long ou la capitale impériale Huê, des scènes populaires et des personnages en costumes traditionnels. Cependant, grâce à l’EBAI et sous influence occidentale, les peintres de l’Ecole d’Hanoï diversifient progressivement leur source d’inspiration et dépeignent avec beaucoup de sensibilité et de finesse des scènes intimistes.
La figure de la femme et plus précisément de la jeune fille y tient souvent une place particulière et reflète cette nouvelle modernité. En effet, représenter un portrait anonyme de jeune fille n’était pas concevable dans la tradition vietnamienne.
C’est ainsi qu’un nouveau style « indochinois » alliant techniques extrême-orientales et influences occidentales se développe au Vietnam à partir des années 30.
Victor Tardieu, soucieux de la réussite de ses élèves, les encourage à participer aux grandes expositions internationales. Il encourage notamment certains élèves de la première promotion de l’EBAI dont Lé Phô (1907-2001), Vu Cao Dam (1908-2000) et Mai Thu (1906-1980) à se rendre à l’Exposition Coloniale de Paris en 1931 afin de promouvoir leur art. Le succès est immédiat : l’Occident découvre avec émerveillement les œuvres de l’Ecole d’Hanoï.
Avec la création de l’Ecole supérieure des Beaux-Arts de l’Indochine, le concept occidental d’« artiste » s’impose au Vietnam et un nouveau style esthétique indochinois unique au monde porté par des artistes extrêmement talentueux se développe.
- Pierre Paliard, Un art vietnamien : penser d’autres modernités – Le projet de Victor Tardieu pour l’Ecole des Beaux-Arts de l’Indochine à Hanoï en 1924, Paris : l’Harmattan, 2014, 128 pages.