L’une des porcelaines asiatiques la plus connue est probablement la porcelaine « Bleu de Huê ». Aujourd’hui, le « Bleu de Huê » est une expression devenue générique pour désigner un type de porcelaine bien spécifique. Appréciée par les collectionneurs, elle rencontre toujours un franc succès en ventes aux enchères.
LE bleu de Hue : quesaco ?
L’expression « Bleu de Huê » a été inventée par Louis Chochod (1877-1957), professeur de langues orientales à Hanoï pour désigner la porcelaine à décor peint en bleu de cobalt sous couverte. Il précise qu’« Il existe deux catégories de porcelaines appelées « bleu de Hué« . Les premières sont fabriquées dans les environs de la capitale de l’Annam [Huế] durant la période de 1802 à 1884. Et les secondes sont des pièces de porcelaine réalisées en Chine avant d’être importées au Viêtnam » (Chochod Louis, 1943, Hué la Mystérieuse, Paris, p. 241).
Selon Louis Chochod, cette expression devait faire référence à un des lieux de production les plus importants : Huê, ancienne capitale du Vietnam. En réalité, et contrairement aux croyances du professeur, la porcelaine de Huê n’a jamais été fabriquée au Vietnam, mais importée depuis la Chine. Ces pièces rares et souvent d’une grande qualité étaient, en effet, réalisées en Chine pour la Cour vietnamienne. Elles sont le reflet des échanges commerciaux qui existent entre la Chine et le Vietnam et témoignent du goût des élites asiatiques.
Aujourd’hui, et pour une meilleure compréhension générale, l’expression « Bleu de Huê » désigne les porcelaines à décor peint en bleu de cobalt sous couverte fabriquées pour le Vietnam entre le XVIIIe et le XXe siècle.
Parmi la porcelaine « Bleu de Huê », deux catégories peuvent être distinguées :
– Les porcelaines commandées par la Cour vietnamienne à la Chine aux décors et aux formes d’inspirations vietnamiennes.
– Les porcelaines de Chine offertes comme cadeaux diplomatiques.
LA PORCELAINE BLEU DE HUE : une prouesse technique
La fabrication de la porcelaine de Huê en bleu-blanc relève d’une véritable prouesse technique.
La première étape consiste à réaliser la décoration sur la porcelaine avec du cobalt. L’artiste doit être très précautionneux puisqu’appliqué directement sur la pâte de porcelaine, cette technique ne tolère aucun retour en arrière. Une fois sèche, la porcelaine est recouverte d’une glaçure avant d’être cuite dans un four à plus de 1200°. Le décor bleu est ainsi protégé et cela explique son incroyable vivacité même plusieurs siècles après sa fabrication.
Principalement fabriquées pour l’exportation, ces porcelaines sont des pièces de luxe réservées à l’élite : hommes de cour, nobles, officiers de haut rang, riches marchands, etc. Elles deviennent rapidement un symbole de richesse et de pouvoir.
L’origine de la porcelaine « bleu de huê »
La technique de porcelaine « Bleu de Huê » est inventée par les Perses au XIIIe siècle avant d’être importée en Chine par la dynastie Yuan (1271-1368). Le cobalt (c’est-à-dire le pigment bleu) étant importé par la route maritime du golfe persan et le Nord étant fréquemment sujet à des instabilités politiques, la porcelaine « Bleu de Huê » est d’abord produite en Chine du Sud.
A cette époque, les pièces sont de petites tailles et s’inspirent des objets perses en métal ou en verre.
Principalement destinée à l’exportation, la porcelaine est envoyée en Asie, mais aussi au Moyen Orient comme en témoignent les collections du palais de Topkapi à Istanbul ou celles du Musée archéologique d’Iran à Téhéran.
Au cours du XIVe siècle, les potiers chinois perfectionnent leur technique et les pièces sont de plus en plus monumentales : c’est l’âge d’or de la porcelaine « Bleu de Huê ».
L’âge d’or du bleu de huê
La dynastie Ming (1368-1644) succède à la dynastie Yuan. Cette époque est traditionnellement considérée comme l’âge d’or de la porcelaine « Bleu de Huê ». Au début de cette période, et alors qu’il était importé du Moyen-Orient, du cobalt est découvert en Chine. Sous cette même dynastie, et plus précisément sous le règne de Yongle (1402-1424), la porcelaine commence à être commercialisée à grande échelle.
L’empereur Xuande de la dynastie Ming fut probablement celui qui se passionna le plus pour ces pièces et encourage grandement leur production destinée à l’exportation, mais aussi à l’élite de son pays. En effet, dès le XIVe siècle, les élites chinoises manifestent leur goût pour ces pièces exceptionnelles. Une soixantaine de fours de la manufacture impériale de Jingdezhen sont alors consacrés à cette période aux commandes de la Cour.
Sous la dynastie des Qing (1644-1911), à l’époque de l’empereur Kangxi (1661-1722), le cobalt est de plus en plus pur. En effet, grâce à de nombreuses innovations techniques, les potiers chinois parviennent à supprimer les impuretés présentes dans le pigment à l’état naturel. Sa couleur est alors décuplée : on parle même de « bleu saphir » pour qualifier le décor des porcelaines de cette période. Cette grande potiche en est un très bel exemple.
Perfectionné sous les dynasties précédentes, l’exceptionnel savoir faire des potiers chinois aboutit à la création de pièces aux formes multiples : potiches, bols, vases, assiettes, théières… richement décorées.
De la Chine au Vietnam : la folle aventure du bleu de Huê
Jusqu’en 1885, le Vietnam est vassal de la Chine et doit, à ce titre, porter des tribus aux empereurs chinois. En échange, les mandarins vietnamiens pouvaient commander de la porcelaine. Très vite, la porcelaine la plus prisée est celle fabriquée à la manufacture impériale de Jingdezhen, située dans la province du Jiangxi en Chine.
Au XVIIIe siècle, la cour Vietnamienne, dirigée par la dynastie Lê, se révèle très friande de ces porcelaines et est à l’origine de nombreuses commandes. Ces pièces se caractérisent par leur décor et leur forme aux inspirations vietnamiennes. Par exemple, le motif du dragon, caractéristique de l’iconographie vietnamienne, est récurrent.
Sur le modèle de leur voisin, les potiers vietnamiens s’emparent de cette technique pour fabriquer leur propre céramique. Influencée par l’esthétique chinoise cette porcelaine se caractérise tout de même par sa singularité. Si certaines pièces produites au Vietnam sont de véritables chefs d’oeuvres, les plus belles, les plus authentiques et les plus recherchées ont été produites en Chine.
Le « Bleu de Huê » : les prémices de la mondialisation ?
Ces porcelaines témoignent des nombreux échanges entre élites marchandes et sociétés de cour qui animent cette partie du globe. Dès 1216, et pour faire face à la raréfaction de métaux précieux comme l’or et l’argent, la Chine promulgue un édit officiel destiné à encourager l’exportation de porcelaine.
L’exportation de ces porcelaines est considérée par certains comme les prémices de la mondialisation. D’abord exportées dans les pays arabes et perses, elles sont ensuite envoyées un peu partout en Asie et principalement au Vietnam.
Leur intense commercialisation a notamment été rendue possible grâce au port de Hôi An, l’un des ports les plus importants du pays entre le XVe et XVIIIe siècle. Son architecture typique a été conservée et il est aujourd’hui classé au patrimoine mondial de l’Unesco.
Des chefs d’oeuvres
La porcelaine « Bleu de Huê » fabriquée pour le Vietnam, d’une grande rareté, témoigne d’un savoir faire exceptionnel. Les motifs représentés sont variés et majoritairement issus de la culture chinoise : objets symboliques, végétaux, fleurs, fruits, faune en tous genres (papillons, crabes, daims…) animaux mythique comme le dragon à cinq griffes, emblème du roi ; le phénix, emblème de la reine ; la licorne, emblème du prince héritier, etc.
Commandées par la cour Vietnamienne, les pièces en porcelaine Bleu de Huê se caractérisent également par leur décor et leur forme aux inspirations vietnamiennes comme en témoigne cette grande coupe – période Thiêu Tri (1840-1847) à décor en bleu sous couverte de dragons émergeant des flots poursuivant le joyau sacré.
La porcelaine « Bleu de Huê » aux enchères
Le prix des pièces en porcelaine « Bleu de Huê » ne cesse d’augmenter en salle des ventes. Depuis quelques années, elles sont très recherchées par les collectionneurs étrangers ou issus de la diaspora qui ont indéniablement participé à leur regain d’intérêt.
Soucieux de rapatrier leur patrimoine dans leur pays, les collectionneurs vietnamiens considèrent que ces pièces incarnent l’identité et la singularité culturelle de leur pays bien qu’elles aient été fabriquées en Chine.
Les pièces rares et anciennes sont évidemment les plus convoitées et atteignent des prix très élevés. Pour autant, sur ce marché bien spécifique, il faut faire attention aux reproductions et imitations en tout genre.
A l’origine de très belles enchères en salle des ventes, la popularité de la porcelaine « Bleu de Huê » ne cesse de croître. Reflet d’une période historique majeure du continent asiatique, témoin d’un savoir-faire exceptionnel, ces pièces rares séduisent collectionneurs et amateurs du monde entier.